Comment j'ai bossé 50h/semaine et toutes les prises de consciences que cela a déclenchées !
Ma dernière lettre Sous l’écorce date de janvier 2025. Après, je suis rentrée dans une faille spatio-temporelle : j’ai bossé 10h par jour du lundi au vendredi soit 50h semaine. J’ai clairement expérimenté le “travailler plus pour gagner plus”. Mais pas pour acheter plus : mon but était d’épargner pour financer des projets, à commencer par celui de me sentir en sécurité.
Revenons en arrière.
Fin 2023, j’annonce la fin de Manola, revue dédiée à la déco/maison éthique (grâce à laquelle la plupart d’entre vous m’ont connue). Début 2024, je relance donc mon activité de journaliste pigiste (=rémunérée à l’article) & mon agence de com’ éditoriale, qui tournaient au ralenti pendant les années Manola. Nouveau nom pour l’agence, Elma, nouvelle stratégie de marque, nouveaux contenus de communication... Une évolution qui prend du temps, surtout que je termine en parallèle l’écriture de La déco éthique, qui sort en mai 2024.
En attendant que mon activité retrouve son rythme de croisière, je fais un remplacement de deux mois au journal La Montagne. Bien que diplômée d’école de journalisme, je n’avais jamais travaillé dans un quotidien. Au début, je me mets grave la pression mais tout se passe bien et clairement j’adore le métier. J’ai bien conscience de mon privilège : quand certaines, pour sortir de la précarité, doivent bosser comme agente d’entretien à l’Ephad du coin, moi je suis journaliste dans un quotidien local renommé !
Je prends aussi en pleine face la réalité d’un travail salarié à temps plein sans une minute pour rêvasser, avec 2h de trajet quotidien. J’ai l’impression que plus rien n’existe à part le taf et j’admire celles et ceux qui vivent ça toute leur vie, enchaînant RER et boulot quotidien. J’en avais d’ailleurs fait un post sur Instagram.
À partir de septembre 2024, les effets de la com’ sur Instagram et Linkedin se font sentir à l’agence Elma : les clients affluent. Et côté presse, les collaborations reviennent avec L’Art de Vivre à la Campagne, Grain... Fin 2024, j’ai retrouvé mon revenu d’avant Manola 🎉
J’aborde 2025 avec l’objectif d’augmenter le chiffre d’affaires de l’agence, pour pouvoir mettre de l’argent de côté. Car, étant parent solo et à mon compte, vivre sans filet me cause de l’anxiété.
Je suis motivée comme jamais… mais on m’appelle pour me proposer de remplacer le chargé de développement d’une coopérative d’entrepreneur.ses en Creuse (L’Élan), pendant 6 mois, à 21h/semaine. J’hésite car j’ai peur d’être complètement débordée. Mais la mission est hyper intéressante : il s’agit de gérer la communication de la coopérative et d’accompagner des porteurs de projets. Une super opportunité ! J’accepte en me posant une condition (à moi-même) : que ce travail salarié n’affecte pas l’objectif que je me suis donnée d’augmenter mon chiffre d’affaires. Je mets alors en place une organisation quasi-militaire sur mes 5 jours de travail par semaine : le matin, c’est le travail salarié, l’après-midi, c’est les piges + les prestations de l’agence. Je dois gagner plus, mais avec deux fois moins de temps donc j’active 3 leviers :
1) Je mets en pause tout ce qui est bénévole : l’écriture de cette newsletter, la publication de textes sur mon compte instagram de journaliste/autrice, la promo de mon livre… Tout cet espace créatif que j’adore 😔. Je mets également en pause mon engagement associatif sur le territoire. Je maintiens seulement la création de contenus sur le compte Instagram @elma-agence et sur mon compte Linkedin, puisqu’ils me servent à acquérir des client.es.
2) Je mets en place des process pour travailler plus vite : création des “presets” photos adaptés aux différentes ambiances que je shoote habituellement, de modèles de textes, de templates graphiques déclinables et d’une méthodo précise d’élaboration de stratégies de communication.
3) J’étudie la notion de rentabilité afin de diminuer les coûts cachés de ma boîte et d’améliorer mes offres (ce qui m’aide par ailleurs dans l’accompagnement des porteurs de projets de le cadre de ma mission salariée).
Moi qui me laissait facilement distraire avant, je parviens à respecter ce cadre. Les journées sont longues, mais productives, et les résultats sont au rendez-vous, tant dans mon travail salarié que côté collaborations presse et prestations de l’agence. Et pour cause : je fais le meilleur semestre de ma vie en termes de chiffres d’affaires !
Ma grande fierté : réussir ça sans travailler ni le soirs, ni les week-ends (en effet, depuis 2 ans, je suis dans une démarche pour vivre plus slow, je vous en avais déjà parlé dans cette newsletter.)
Aujourd’hui, j’ai terminé cette mission si enrichissante pour la coopérative d’entrepreneur·es, j’ai quelques sous sur mon livret A et je savoure de retrouver un rythme plus doux.
Mais ces 6 mois à travailler plus pour gagner plus m’ont fait (énormément) réfléchir et je voulais partager avec quelques constats/idées sur le rapport à l’argent et au travail.
1) Gagner sa vie en travaillant fait du bien au moral
N’en déplaise à celles et ceux qui ne voient dans le travail que son étymologie de torture, je crois que le travail, ici au sens de l’activité rémunérée, peut apporter beaucoup. Comme me l’a dit une camarade (pourtant de gauche tendance anarchiste ), “le travail, ça structure”. La reconnaissance par ses pair·es, ses collègues, sa patronne ou son client et le fait d’avoir une place dans la société fait également beaucoup de bien au moral. Je vois aussi autour de moi à quel point être autonomes financièrement aide les femmes à prendre confiance en elles.
Évidemment, ça dépend du métier, mais plus encore des conditions de travail. C’est pourquoi la qualité de vie au travail (QVTT) est un enjeu crucial et, comme me l’a dit l’autre jour mon client Destination Partage, on est quand même très en retard en France.
Dans mon cas, j’avais vécu l’arrêt de Manola comme un échec et je doutais de mes capacités. Les résultats de 6 mois de travail intense, tant financiers qu’en termes de retours de mes clients et collègues m’ont fait un bien fou (et maintenant, avec ce recul-là je me dis qu’avoir réussi à vendre 5000 numéros de Manola et générer 100 000 € de chiffre d’affaires depuis ma campagne, ben c’était quand même une réussite !).
2) Travailler plus pour gagner plus… et ne rien faire d’autre.
Soyons clairs, en travaillant 50h par semaine, non seulement je ne pouvais plus tenir d’engagement associatif ni écrire cette newsletter, mais je ne pouvais pas non plus faire du sport, lire des essais, penser le monde ou dîner avec des potes. Certain·es y arrivent et ont toute mon admiration ! Mais moi, je n’avais plus d’énergie le soir. Quant aux week-ends, ils étaient pris par tout ce qui avait été mis en attente pendant la semaine (et par mon besoin de me reposer pour repartir pour la semaine). Dans ces conditions, difficile d’être pleinement épanoui·e et je comprends pourquoi le confinement a été pour tant de gens le déclic pour changer de vie. Quand on bosse autant, difficile, également, de faire la révolution. Car militer prend du temps et/ou une disponibilité intellectuelle que l’on a pas.
Cette expérience est venue renforcer mes convictions sur la nécessité de la décroissance. Dans les années 2000, ce sujet était porté par Serge Latouche et Paul Ariès. On en parlait beaucoup dans les milieux alternatifs que je fréquentais, mais on l’abordait souvent à l’échelle individuelle, sans prendre en compte les différences de race, genre ou classe sociale. C’était in fine hyper moraliste. Mais le concept est revenu sur la scène médiatique avec l’économiste Timothée Parrique. Dans ses travaux, il démontre, calculs à l’appui, que l’innovation technologique induite par la croissance économique ne sera pas suffisante pour répondre à l’urgence écologique, appelant au contraire à réduire le temps de travail, à privilégier des formes de production locales et durables, à adopter une économie centrée sur les besoins réels plutôt que sur la surconsommation et à une réappropriation collective des moyens de production. Il défend également la création de nouveaux indicateurs de progrès (bien-être, résilience écologique, égalité).
Je signe tout de suite !
3) L’entrepreneuriat rural, ça s’apprend
Je connais énormément d’indépendant·es en ruralité qui ne gagnent pas ce dont ils/elles auraient besoin pour vivre, mais considèrent que c’est normal. Après tout, on a choisi de se mettre à son compte à la campagne pour “vivre autrement” (c’est-à-dire en dehors du système capitaliste), donc ça fait partie du jeu. Et puis, l’immobilier n’est pas cher, on a des potagers, des listes de covoit’, on peut faire son bois de chauffage, on s’en sort mieux qu’ailleurs ! Bien-sûr que que dans les campagnes comme la mienne (Limousin/plateau de Millevaches), on peut vivre mieux avec moins. Mais moins, ça ne veut pas dire que dalle !
Je crois qu’on accepte de gagner moins que nos besoins parce que c’est difficile de se dire qu’on n’y arrive pas. Mais en réalité, si tant d’entre nous ne s’en sortent pas, c’est parce qu’on n’est pas formé. Réussir à vivre correctement d’une activité indépendante, ça s’apprend.
Mais il y a aussi une réticence à apprendre à devenir un·e entrepreneur·se rentable quand on refuse le système capitaliste. Et c’est vrai que quand on commence à s’intéresser à ces questions, on ne voit plus que des vidéos de coachs business pour atteindre “10k” par mois ou “100k” par an, ou investir sa petite épargne dans un placement qui rapporte gros. Clairement, j’ai eu envie de fuir ce milieu dégueulasse, (car oui, c’est un monde dégueulasse, qui surfe sur la galère des gens en transformant tes idéaux politiques en rêves de résidence secondaire et piscine). Mais j’ai aussi trouvé des formateurs plus éthiques et j’ai réussi à adapter les conseils à ma vision politique. Non, améliorer la rentabilité ne signifie pas forcément faire raquer plus cher 😉
Reste que les formations à l’entrepreneuriat ne sont jamais adaptées aux spécificités des activités rurales. Alors je ne vous cache pas que j’ai pour projet d’en monter une avec un organisme de formation ! Si ça vous intéresse, dites le moi par retour de mail pour que je vous recontacte le moment venu.
Mes dernières parutions
Village magazine
Comment bien vieillir à la campagne ? C’est l’enquête que j’ai menée pour le dernier numéro du magazine Village et c’était réjouissant ! Si si ! Petit teaser : Petit teaser ! Pierrot raconte comment il a quitté l'Ephad pour une coloc de vieux, et Marie Laure comment elle a monté cette coloc. Magalie Halley, designer et pair-aidante, explique son travail incroyable, ou comment on peut transformer un Ephad organisé comme un hôpital en un ensemble de maisonnées décorées avec les résident·es. Fanny Herbert, du collectif Carton Plein, évoque la dynamique des tiers-lieux en maison de retraite. Et Christophe, adhérent du Conseil national auto-proclamé de la vieillesse, parle auto-détermination ✊ Sachant qu'en 2030, 1 personne sur 3 aura plus de 60 ans, je vous invite à acheter ce numéro pour commencer à penser à vos vieux jours et à ceux de vos proches 😉
Psst, Village a besoin de 1000 abonné·es supplémentaires, pourquoi pas vous ?
L’art de vivre à la campagne
Retrouvez mes reportages sur des créatrices rurales dans les numéros 5, 6 et 7 de L’art de vivre à la campagne ! Teaser photo 📷
À gauche, Hélène Joly, vannière ; à droite Claire Salin, ébéniste et tondeur de moutons.
Sur ce, je vous souhaite une belle entrée dans l’automne
Ps : n’hésitez pas à réagir à cette lettre 😉